mardi 10 septembre 2024

Loca Vida

 

Je crois qu’au fond, il ne faudrait jamais revoir les gens qu’on a aimé jusqu’à se perdre dans leur représentation. Car alors surgit un sentiment plus fort que l’amour défunt, plus fort que les regrets, plus fort que la nostalgie ou les souvenirs.

Quand un jour il ou elle ressurgit, la perception que nous avions de cet être tant chéri a changé. La ridule qui nous faisait craquer autrefois devient un pli disgracieux. Le ventre replet qui servait d’oreiller à des siestes crapuleuses se transforme en syndrome d’obésité, la fesse s’est brusquement amollie et n’a plus de callipyge qu’un mot fade parmi tant d’autres mots vides de sens. Même la beauté intérieure s’est ternie. Les mains gracieuses qui dansaient dans le soleil et faisaient teinter les bracelets comme une cloche invitant aux baisers, sonnent des glas désormais. Les paroles qu’on buvait autrefois jusqu’à l’ivresse deviennent un verbiage écouté d’une oreille distraite, un vin aigre à envier la surdité.

Je crois qu’au fond, il ne faudrait jamais revoir les gens qu’on a aimé jusqu’à se perdre dans leur éblouissement. Car un autre sentiment, infiniment plus hideux vient s’y superposer : l’indifférence. Cette ennemie insidieuse s’infiltre dans les veines et empoisonne les cœurs. Elle devient un nouveau combat contre nous-même, une lutte de chaque instant pour conserver sa part d’humanité.

Je crois qu’au fond, il ne faudrait jamais revoir les gens qu’on a aimé, pour garder intacte leur représentation et ainsi préserver leur souvenir comme on conserve une photo mais qu’on ne voit pas jaunir par le temps à force de la contempler jour après jour dans le secret de nos cœurs. Car c’est au fond, le plus beau cadeau à leur faire que de les trouver encore belles par-delà les jours, les semaines, les mois et les années. C’est leur léguer une part de notre force, de notre confiance, de notre foi en elles.

Et par-dessus tout, les laisser s’endormir paisiblement, dans un jardin où ne fleurit que le bonheur auquel elles aspirent, les y pousser de toute la force de notre bienveillance...

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